Le Maroc, la Tunisie et l'Égypte (comme de nombreux autres pays en développement) ont toujours considéré les politiques industrielles pro-actives comme un moyen important de moderniser leur secteur manufacturier. À une époque de désindustrialisation prématurée, le secteur manufacturier devrait favoriser le changement structurel et la convergence économique permettant la création d'emplois. Sur cette base, cet article analyse donc le rythme de la transformation structurelle des trois pays d'Afrique du Nord au cours de la dernière décennie en utilisant deux approches.
Premièrement, cette étude analyse la réallocation de la main-d'œuvre entre cinq secteurs de l'économie et évalue dans quelle mesure ce mouvement contribue à la croissance globale de la productivité. La deuxième approche appliquée dans cette étude est liée à la construction de nouvelles mesures pour les dimensions de performance à l'exportation, de qualité et de variété. Les résultats montrent que pour le cas du Maroc et de la Tunisie, les performances sont comparables avec un effet de réallocation qui a été positif et a contribué respectivement à hauteur de 18% et 21% à la croissance globale de la productivité, tirée principalement par les services qui ont pu créer de plus en plus d'emplois en parallèle avec une augmentation de leur efficacité mesurée par les gains de productivité. Cependant, le Maroc a connu une croissance de la productivité autour de 3,7% par an en moyenne alors qu'en Tunisie la performance est bien en deçà, arrondissant à 1,7%. Pour l'Égypte, la période 1999-2008 a connu une contribution négative de l'effet de réallocation à la croissance globale de la productivité, ce qui signifie que le facteur travail se déplaçait des secteurs à forte productivité vers les secteurs à faible productivité.
Les politiques horizontales liées à la gestion du taux de change et à la politique monétaire pourraient être les facteurs responsables de ce changement structurel qui freine la croissance. En outre, la dépendance accrue à l'égard des ressources naturelles aurait pu compromettre la réaffectation de la main-d'œuvre entre les secteurs à productivité faible et élevée. Pour l'indice de qualité, il semble que peu d'améliorations aient été notées dans les années 2000 pour les trois pays, même pour les industries ciblées par les décideurs politiques dans chaque pays. Pour l'indice de variété, la performance globale des trois pays s'est améliorée régulièrement au cours de la dernière décennie, mais tirée principalement par les secteurs classiques tels que le textile ou l'alimentation et le tabac. Le secteur manufacturier en général dans ces pays a connu une contribution décroissante à la création de richesse et d'emplois.
Le processus de désindustrialisation pourrait être surmonté grâce à une intégration accrue dans les chaînes de valeur mondiales (CVM). Tirer pleinement parti de l'évolution du paysage des systèmes et des réseaux de production peut permettre aux pays d'Afrique du Nord d'accélérer leur changement structurel et de renforcer leur secteur manufacturier. Ces pays augmentent en effet leur participation aux CVM. Dans ce cas, le défi pour chaque économie est la capacité de se mettre à niveau et de gravir les échelons des CVM d'activités à faible valeur ajoutée vers des activités à forte valeur ajoutée. Dans un premier temps, il pourrait suffire à un pays d'intégrer les CVM dans des activités à faible valeur ajoutée, ce qui est apparemment le cas pour ces pays, mais au-delà d'un certain niveau, ces économies doivent viser à gravir l'échelle des CVM et à s'éloigner des activités à faible valeur ajoutée.
Décrire les bons ingrédients de toute politique industrielle est, du point de vue des auteurs, le meilleur moyen de tromper, mais les économistes s'accordent sur l'importance de mettre à niveau le cadre logistique et des infrastructures, qui sont pertinents pour maintenir l'économie compétitive et fortement ancrée sur marchés internationaux. En outre, le succès à gravir les échelons des CVM dépend de la capacité à assurer l'offre de main-d'œuvre qualifiée pour relever le défi et faire évoluer l'économie vers des activités à forte valeur ajoutée. Des interventions actives dans des secteurs sélectifs ne suffisent pas à bâtir un secteur manufacturier fort et une économie compétitive. Il convient de garder à l'esprit un « policy mix » entre politiques verticales et horizontales. Le maintien d'un cadre macroéconomique sain est également crucial, notamment en ce qui concerne les décisions de politique monétaire, les mouvements des taux de change et l'orientation de la politique budgétaire.